lundi 22 octobre 2012

C’est la vie y parait



photo


J’ai senti le boulet
passer parfois tout près
et l'odeur de la poudre
dans le nez comm' la foudre

avalé des bibines
sur des zincs en plastoc
titubé dans le spleen
de Baud’laire en Médoc.

J’ai connu les poubelles
avec les chats d’gouttière
les Jaguar, les 4 L
les fourrures, les fourrières ;

j’ai même porté le smok’
pour un soir de première,
laissé mon plus beau froc
dans un dernier poker.

Y m’restait une chemise
et j’en aurais fait don
à un type dans la mouise
mais j’étais en cal’çon.. !

Alors j’ai fait la manche
à la sortie d’la messe
sans habit du dimanche
et un peu froid aux fesses.

Le curé est v’nu m’voir,
m’a dit : « Alors mon fils,
faudrait p’t’être voir à voir
partager l’bénéfice! »

J’l’ai envoyé s’faire voir
d’un air pas catholique,
ben vous allez pas m’croire
il a app’lé les flics!

Ha! Qué bon Dieu d’église !
J’attend encore qu’on m’dise
comment le p’tit Jésus
nous est tombé des nues,

comment tous ces braves gens
peuvent croire à la sainte Vierge
et s’absoudre gaiment
en allumant un cierge.

J’suis r’tourné voir l’curé
et j’ l’ai rossé vilain
« Tiens, tends l’aut’ joue l’abbé,
je multiplie les pains ! »

On m’a mis en prison
avec dans ma cellule
des voyous,  des crapules
et encore un cur’ton.

Les uns baisaient les autres
et réciproquement
et le fidèle apôtre
n’était pas l’plus feignant.

A genoux, implorant
la volonté divine
il priait ardemment
la très Sainte-Tétine ;

c’était pas du latin
mais tous ils y croyaient
et ces enfants d’putain
soudain s’convertissaient.

Quand j’suis sorti de là
ayant purgé ma peine,
j’peux bien dire qu’j’étais pas
d’une humeur très chrétienne.

Mais l’a quand même fallu
que j’retrouve du boulot
une conduite pas tordue
une vie un peu réglo.

Qu’est-ce-que j’vais pouvoir faire?
je m’suis dit en moi-même
Tiens j’vais faire milliardaire,
directeur de harem.

J’ai fait les p’tites annonces,
envoyé des cv
j’ai jamais eu d’réponse
j’étais pas diplomé.

J’suis r’tourné à l’école
de la rue, des lascars,
où y a pas d’heure de colle
où t’apprends pas l’Histoire.

La philo des trottoirs
sans dirlo, sans récré
ça t’apprend l’illusoire,
le courage, l’amitié.              
                                                 
J’ai retrouvé mes potes
mon bistrot, mes frangins,
la môme Lulu ma crotte
et ses « la vach’ putain ! »,

mon quartier, ses odeurs
ses néons, son crachin,
les murs tout en couleurs
et l’épicier du coin.

Y a même une p’tite nouvelle
qui s’amène, qui s’approche
peux pas dire qu’elle soit belle
peux pas dire qu’elle soit moche…

« Tiens j’te présente Jeannette »
qu’il me sourit Nasser
« une gentille, une pauvrette
qu’est tout comme toi misère »

C’est vrai qu’elle était chouette,
un regard lumineux
peut-être j’avais l’air bête
mais j’redev’nais heureux.

J’y ai payé un godet
et j’ai fait connaissance
d’un sourire comm’ jamais
qui ramène à l’enfance.

« Hé ho, la vach’putain ! »
qu’elle me gueule la Lulu,
« peux pas attendre demain
pour tes histoires de cul ? »

« Qu’est-ce-t’as Lulu ma crotte ? »
j’lui répond rigolard,
« t’as pas mis assez d’flotte
dans ton verre de pinard

ou quoi ? Tu d’viens jalouse ?
qu’est-ce t’as fait d’ton patron ? »      
« Tu parles de l’aut’ tarlouze ?
l’est au trou ! » qu’èm répond.

 « Allez Jeannette tu viens  
on va pas rester là
on va marcher pas loin
si tu veux prends moi l’bras »          

On s’est pris par le coeur
on  s’éprit par l’ bonheur
de parler et de rire,
d’y croire et de rien dire,

tandis qu’une porte cochère
nous fit une petit’ place,
j’étais pas frigidaire
elle était pas de glace.

Mais c’est bien loin tout ça
et de cette époque-là
tout l’monde a disparu
la Jeannette, la Lulu,  
                                         
tout l’ monde s’est envolé.
Comment c’est arrivé ?
Comment on s’est perdu ?
J’saurais pas dire non plus.

C’est la vie y parait
mais quand j’repasse par là
j’regarde, on sait jamais,
on sait jamais, des fois…

Même que j’m’arrète un peu,
j’attends je sais pas quoi,
même que ça m’pique les yeux
mais c’est plus fort que moi.

Y a plus que du silence
derrière le brouhaha
plus d’âme, plus d’innocence
même pas des reliquats.

Tout a tell’ment changé
mon bistrot, mon quartier,
y a juste la porte cochère
qu’est restée comme hier.